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Curriculum
François Laur, né en Aveyron, en 1943, vit aujourd’hui à Carcassonne, pays de soleil, de vin et de vent. Il a fait ses études supérieures à Toulouse, longtemps s’est levé de bonne heure, a enseigné la littérature sur deux continents, s’est frotté de phénoménologie. Il aime collaborer avec des artistes, écrit de brefs poèmes en prose (et, parfois, en vers).
* Les caractères constituant le titre du site et l’inscription photographiée (fragment d’un poème de François Laur) proviennent d’une sculpture-table d’Alain Perrier-Doron.
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Hommage à François
Le samedi 11 mars à 10h 30 dans le cadre du « Printemps des Poètes », la librairie Mots&Cie à Carcassonne organise une lecture de « La beauté gifle comme un grain » dernier recueil de poèmes de François Laur qui nous a quitté le 5 septembre 2016.
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Livres sur François LAUR
- Lucien Wasselin, « Fagots de mots (Glose de François Laur) », Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2009.
- Pierre Grouix, « François », Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2013.
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François Laur : « À chaque aube son vertige »
François Laur a habitué ses lecteurs à une langue contournée, recherchée, travaillée, prodigue en mots rares qui aide à saisir le réel, à mieux le faire connaître. Dans sa récente plaquette, non paginée, François Laur, avec son poème Pour les chemins que tu inventes, donne une explication à ce goût : "Il faudrait une langue d’osier à faire bouffer les jupes […]. Un idiome long à l’haleine […]. Un essaim de mots bruissant, mellifère, inlassable […]. Une langue nombreuse de la chair dans son horizon […]." C’est la langue, c’est le vocabulaire qu’il utilise depuis ses débuts, qui nous valent ces proses minutieuses où chaque mot est pesé. Dans le poème suivant, Fuyant l’asphyxie, les deux paragraphes de la fin vont encore plus loin : "vocables d’une manière d’habiter, seraient-ils intraduisibles" et il reste qu’il emprunte ses exemples à l’allemand (waldeinsamkeit), au japonais (komorebi), à l’italien (culaccino)… Manière (...) (lire la suite)
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Un amoureux en écho
. « Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’apprendre à lire Ovide, il fut un amoureux. Un amoureux en écho.
Il aimait aimer. Il aimait les mots qui aiment l’amour. Il aimait sans retenue autre que le plaisir d’aimer.
Chez lui, l’art d’aimer, ce n’est pas la drague pour les nuls, non, oh non. C’est aimer les mots d’amour, aimer les mots d’un amour sans retenue, aimer les connues et les inconnues, aimer le leur dire de façon aimable, afin de rester aimant, aimer montrer que le son d’un pied effleurant le sable du forum est une parole, et à nous la déchiffrer. En ce sens, François, sans jamais avoir copié Ovide, croise son chemin souvent, guidés qu’ils sont par la carnation écrite de l’amour. » (Jean Devriendt, Facebook, 27/10/2015) -
François Laur, ou l’art de la poésie charnelle
L’écrivain carcassonnais dédicace ses deux derniers ouvrages, demain jeudi, au bloc G.
Ils sont arrivés là, modestes, dans une enveloppe de petite taille, portés par la magie postière en ce début du mois de mai. Ah, facteur – ou plutôt factrice – si tu savais la puissance de ce que tu portais ce matin-là dans ta sacoche ! Aurais-tu ouvert l’enveloppe – saisie par on ne sait quelle audace de printemps – que tu te serais peut-être arrêtée, à l’angle d’une improbable rue de Carcassonne, pour te plonger dans l’un de ces textes courts que François Laur égrène, bijoux de prose poétique, au fil des recueils qu’il lance depuis déjà pas mal d’années à la face d’un monde par trop indifférent. Mais les poètes, voyez-vous, sont artistes souvent ignorés dans une société où l’image a remplacé l’imaginaire. Dommage. Car François Laur, s’il fait une poésie immédiatement "visible", y rajoute, le son, le goût, l’odeur, le toucher... La vie quoi ! Indicible (...) (lire la suite) -
Abécéd(romad)aire, la caravane passe
François Laur fait partie de ces auteurs discrets qui poursuivent leur œuvre sans céder jamais à quelque facilité. Chacune de ses publications tient du petit bijou, ciselé dans une langue voluptueuse, un rien érotique, un rien érudite, coulant comme eau de source cristalline. Cet abécédaire portant bosse de dromadaire propose vingt-six stations plus ou moins brèves et dédiées aux 26 lettres de l’alphabet. Vingt-six textes imprimés uniquement en pages de droite de ce petit livre de format carré. « La caravane passe », est-il mentionné en sous titre. On y voit défiler de nombreux personnages, poètes, artistes, écrivains, philosophes, musiciens, héros de la mythologie. « Il y a », en leitmotiv, relie chacun des blocs textuels dans une énumération qui semble d’une étonnante limpidité, alors qu’elle saute habilement du coq à l’âne. François Laur y assemble savamment oiseaux, plantes, fruits, insectes, senteurs, peintures, scènes érotiques conviant (...) (lire la suite)
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Écoute flottante
À propos de DÉNUEMENT, in Écoute flottante :
« Je reviens à ce très beau texte.
Sous l’hétéronyme d’Alvaro de Campo, Fernando Pessoa, dans le Gardeur de troupeaux, — je réfère ici de mémoire — rappelle que si l’on veut qu’il ait "un mysticisme, fort bien. [Son] mysticisme est de n’en avoir aucun" et de vivre solitaire dans une maison blanchie à la chaux, en haut d’une colline, "et voilà ma définition". Plus loin dans le recueil, il s’en prend à ceux qui voient des choses dans les choses. Tous ceux qui, au lieu de constater et dire cela que leurs yeux contemplent, s’envolent des choses, les quittent pour d’autres réalités. Il veut que le fruit ne demeure que fruit ; la pomme, que pomme ; l’orange, qu’orange.
Je te relis ce soir, François, dans ce texte que j’appellerais volontiers "l’éponge". Non par clin d’œil à Francis, quoique, mais parce que tu pratiques l’inverse de ces trop nombreux poèmes qui obstruent les pages, même (...) (lire la suite) -
CES LIENS QUI DÉLIVRENT
Longtemps, pour tenter de sourire, j’ai dû brinquebaler en nocturne tardif, m’abreuver d’alcools et de charivari, cavalcader jusqu’aux aubes blêmes où j’allais m’engloutir dans un sommeil peuplé de spasmes nauséeux.
Mais, éveillées les haleines tièdes, je t’ai vue cheminer nue. Tu étais nue en blouse roumaine, et tes mains tes reins, leur puissance de source a répandu ses baumes après ces longs mois saturés de fiel. Tu as donné au jour une harmonie du soir, un nuage blanc au bleu trop dur, la pénombre aux chambres d’été, le vin des rêves à la vie. Sur de riches herbages ou les draps froissés, tu m’as passé au doigt l’anneau de ta confiance, au cou tes cuisses en collier.
Quand je tombais de vide en vide comme un qui tombe pour mourir, tu auras été celle qui est venue, porteuse d’une joie d’exister contagieuse, sève ardente et senteurs d’humus, feu de la saint-jean au cœur. Tu es venue comme les sept couleurs après fracas et trombe d’eau. Tu auras été (...) (lire la suite)
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À MES LÈVRES, ALORS, MONTENT DES CAVATINES
toi qui as appris / l’art d’oublier / dans l’éblouissement
Chiara MerloTu m’as ouvert ta porte. J’ai fait le vœu de toi, de l’amour qui délivre. Tu t’avances, me ravives, je ne suis plus un soir que l’on veut oublier, vague friche, embrouillamini. Tu débroussailles le hallier, le mauvais rêve se dissipe. Tu me prêtes main-forte, poses avec moi le pied sur la première marche du colimaçon dont l’hélice, vrillée au firmament, entraîne, exalte, appareille pour les confins.
Avec ta rosée aux lèvres, je ne suis plus sable dans le simoun. Tu me calmes, tu rends en moi la mer étale, étaies mes desseins d’essor, exténues mes phobies de fiasco. Tu dérides mon front, me baignes du repos des prairies semées d’animaux, tu les ordonnes pour les fêtes du beau.
Comme une mofette, s’évaporent de mon échine l’ennuyeux l’accablant ; les harpies d’alentour, épiantes vociférantes, disparaissent. Comme un hymne lourd d’espoir, un hymne chantant le monde, tu t’avances, et cet (...) (lire la suite)
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CE QUE JE DOIS AU FROISSEMENT DU THYM
Les choses sont là et je suis à elles, absentes ou sous mes yeux. Ainsi je nais au chèvrefeuille en plein soleil, à l’escargot sous une acanthe un jour de pluie, au figuier dans la pénombre. Et dans les plis ombre et lumière jaillit comme un défaut, un manque ; l’air vibre, l’horizon, tout soudain, c’est l’absence de toi, de toi à l’instant si lointaine. Le sang cherche à régler son pouls, le paysage que tu enrobes se déploie, inflexions bombements buissons sillons rivière, les remuements du cœur dans les frissons du frêne, ciel lavé, large plage mouillée. Sans doute, le cosmos ne s’ordonne-t-il plus au tintement de l’angélus, mais le sillage de ton parfum comble mes mains du somptueux de tes reins, et mon regard de toi, dénudée yeux fermés. À vue perdue, la nuit esseule, tant que l’aube de ta chair ne luit pas comme, de temps à autre, aux confins de l’espace aimanté, le silencieux essaim de galaxies opales.
Alors, les mots éclosent à nos lèvres pour (...) (lire la suite)
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VIVRE EST LÀ
Dans les villes, les gros bourgs, je perçois bien rarement un air sifflé par la fenêtre ouverte, un refrain chantonné dans la rue, au comptoir d’un bar-tabac, dans la queue devant une caisse, cinéma ou hypermarché. Il n’empêche, quelques mesures doucement modulées, et le joug se fait moins féroce, le pouvoir moins museleur. On a pu, naguère, affirmer que les goualantes résonnaient parmi les squares les venelles ; elles frissonnaient de vie. Point d’auto-radios hurleurs, toutes vitres abaissées. Qui se surprend, aujourd’hui, susurrant, à la terrasse d’un café, une tendre aria de Bach ? Où, la plaisance du fredon comme humble rumeur d’abeille ?
Toi qui vas volontiers chantant, la caresse de ta voix rend le cœur plus léger, comme celle d’une brise en juin ; elle époussette la journée, la soulage de sa grisaille. Avec toi, un instant je marche sur l’eau, un instant je suis oiseau. Avec toi, tes ritournelles, oubliés ‒ tout merveilleusement ! ‒ extorqueurs de (...) (lire la suite)
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ENTRE TES MAINS, LE GOÛT DE VIVRE
Tu n’as jamais été amoureuse à demi, ni intime à demi, ni vivante à demi. J’écris, tendu vers toi, pour entendre une voix inconnue, ta voix couleur respir dire clapots, ta voix aussi d’après l’amour. J’écris ; comment savoir ta part de terre non brûlée ? Tes mains offertes font de mes poings des mains ouvertes ; ainsi, nos mots nos mains semeurs en viennent à susciter nos houles.
Tu sais que s’humecter la bouche ne suffit guère à éteindre la soif, pas plus que grignoter ne pourvoit à la faim. Lèvre à lèvre, moirés de sueur, nous nous découvrons, sans que s’ajourne ton sourire. Le cœur tambour, je bois ta soif surgie sur le bout de ta langue, à ton ventre le vin du rêve ; ta voix se tresse de galets qu’entre-heurte le flot, de contralto et d’abandon poignant. Des vocables à la chair, ton souffle long et chaud, ton souffle gorgé d’ailes épanouit les orbes de cet essor d’aimer qui cesse d’impartir. Ondulante scintillante, comme constellée, tu convies à (...) (lire la suite)
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LES MOTS SONT UN ESSAIM EN QUÊTE D’UNE REINE
If I don’t write to empty my mind, I go mad.*
Lord Byron
* Si je n’écris pas pour me vider l’esprit, je deviens fou.Si j’écris, c’est pour entendre et t’obéir, toi l’hôtesse de mes saisons ; pour te dire, comme oiseau, avec toutes les voyelles. Pour écouter en ton idiome tes mots leurs modulations intonations vibratos. Je persiste dans ma vénerie : un ricochet de résonances, avec, pour horizon, vagues et scintillements. Si tu me prêtais tes mots, mes doigts courant sur le clavier déferleraient bien mieux qu’un suaire entre nous. Je compose dans cette ombre qui, parfois, éteint ton sourire ; rédige, noir sur blanc, tes clairs-obscurs dans un dialecte d’ermitage. Plus je quête mes vocables, plus je distingue le timbre de ta voix et peux, ainsi, te murmurer.
M’accorderais-tu les mots, j’en façonnerais, sur le ciel de ton lit sur celui de tes nuits, des formules si lumineuses que le soleil se voilerait pour ne pas les effacer. Puis je suivrais tes pieds sur un réseau (...) (lire la suite)
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LE TEMPS, ALORS, SUSPEND SON COURS
Le trouble de tendre la main, toi et moi le connaissons, et l’émoi de sentir que jamais l’autre ne s’esquive, que même lui aussi tend sa main, caressant à sa manière. D’où le soin que nous avons de ne pas trop nous en conter : pour rester en éveil, concentrés sur ce trouble qui nous munit d’une oreille attentive – ô combien ! –, et qui, pour mieux parcourir, explorer, enhardit notre tact, l’affine. Nos doigts nous font, l’un à l’autre, peau neuve.
Alors, nos lèvres s’abreuvent à la rosée du vivre : nos baisers nous sèment au présent un futur, sans que, pourtant, nous succombions à l’arôme soupçonné de l’espoir. Nous n’avons pas à recouvrer le temps perdu : plus moelleuses parfumées qu’une petite madeleine, nos gourmandises nous entêtent de saveurs plus enivrantes. Nous n’avons pas à inventer le chemin long et sinueux qui nous a conduits là : malgré tristesse déchirures terreur, nous rendons grâces à la terre ses recoins d’herbe l’odeur du foin jusqu’au (...) (lire la suite)
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SOLEIL D’HIVER
Toujours toi-même et chaque jour nouvelle, avec toi m’ont ébloui les amandiers les mimosas, fleurs et lumières de janvier. C’est par toi que j’ai connu ces pommes au nom de sainte (fête mi-juin), esculentes acidulées, savoureuses tellement qu’on les dirait de quelque éden. J’ai appris à aimer l’odeur des figues mûres, à manger des burlats cueillis sur ton sourire, toi moi à chevauchons dans l’arbre de l’oiseau moqueur.
Tout ce temps de perdu avant que tu n’appelles ! Ta poignante douceur a eu raison de mon manque d’oreille. L’aigue-marine de tes yeux a laminé ma cataracte.
Depuis toi, vivante est ma vie. Depuis toi, j’aime écouter le vent sur lequel prendre appui, se déclarant aux feuilles des peupliers ; le cri de l’épervier qui déchire le ciel, les roucoulements des ramiers, le phrasé de Maria Callas. J’aime le gaz en flammes-langues, leurs reflets leurs frissons verts et bleus ; l’eau se froissant, suant d’infimes perles blanches bientôt muées en peau lentement (...) (lire la suite)
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DEMEURE LE CRI DE JOIE
Femme de pleine floraison, tes mots tes mains m’ont éveillé, tes houles lentes, ensoleillé, quand l’inouï des mots se dansait dans tes mots, et avec eux la chair.
À hauteur de clair et d’ombre, sous un saule au bord de l’eau, sous un pommier dans le jardin, je me grisais de ces vocables qui entrouvraient un monde en formules insoumises ; elles se vivifiaient d’accords et de cadences dont tes lèvres humectées ramageaient les sens, faisant presque deviner le toujours-inaperçu. Au sein de nos appels feutrés concernant quelque mise à nu inconcevable au grand soleil (comme au comble de la lune tandis qu’une aile silencieuse vient froisser le linceul de la nuit), chacun avait le sang de l’autre dans la peau, mon souffle se calquait sur le tempo de ton haleine. J’en ai connu tes mains, leur douceur leur pouvoir. Tel un bourdon dans un fruit blond et duveteux, je me suis abreuvé de nectar.
Si tu es là, pour moi d’instant en instant printanière, chant de bleuets coquelicots, (...) (lire la suite)
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L’HÔTESSE
Elle est venue, d’un pas comme alenti mais sûr, auréolée de boucles blondes fleurant le jasmin et le feu de sarments, visage grave, réservé, ses lèvres exquisément roses ; et, si intense, le regard, protégé d’un sourire ! Une discrète pasionaria, qui porte en secret sa blessure. L’amour du monde pour devise, couleurs, lumières et parts d’ombre : la vérité dans l’apparence.
Son pays ? Peut-être des coteaux, vergers, potagers et vignes sous un doux lait de lune que son enfance aurait immensifiés. Peut-être quelque ville d’ocre jaune rouge et ses toits en terrasse ; on y dort peau à peau dans l’odeur du romarin tout près de lauriers en fleurs. Plus probable, sans doute : cette contrée d’eaux claires où les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.
C’est là qu’elle aurait (pourquoi pas ?) serré l’homme contre elle, mis ses genoux au creux de ses genoux à lui, senti peut-être ses cheveux sur sa bouche, ses (...) (lire la suite)
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AU CŒUR DU TOURBILLON DES VIES MULTIPLIÉES
Sois amant, sinon, le cours du monde finira un jour
Et tu n’auras pas lu à quoi sert l’atelier de l’existence
Hâfez de ChirazSi prendre garde à la douceur des choses était choisir le luxe ? malgré claudication et genoux raidis, flâner par les genêts pinèdes origans chênes verts, suivre très lentement un chemin de halage que l’herbe colonise à la belle saison, puis, pas à pas et sans se retrancher du monde, franchir un pont roman (mais non rejoindre Compostelle !).
Malgré tintamarres et raffut des média, le rouge-gorge du jardin, goûter ses « tic-tic » liquides et perlés, son appel au lombric, au soleil, appel à sa compagne, cantatrice elle aussi.
Bien que, souvent, les rues ressassent la tristesse, avoir le plaisir d’ouvrir la fenêtre pour ajuster quelquefois mon fredon aux airs de danse et de liesse.
À ton ardente et somptueuse douceur, mon sang rit s’emporte feule, s’enivre de toi tisserande en accueil.
Toi qu’habite un essor entre nos draps de lin, (...) (lire la suite)
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NOUS VIVONS SANS VÉNUS
Nous aurions aimé vivre hors des terreurs des soldatesques, milices, sbires, petites et grands-croix, arsenaux et sanctuaires. Nous voulions vivre joyeux, quand ils nous veulent palpitant de passions tristes.
Nous aurions aimé vivre comme sur les rivages d’une insolite mer sereine, où la vie n’est pas perdue à la gagner.
Nous voulions vivre sur le fil du hasard ferveurs colères obsessions, mémoire à vif, omissions salutaires.
Nous voulions vivre le goût des jours et contre-jours à mains tendues, non au jardin des Hespérides ni dans un guéret d’horreurs. Nous voulions vivre sans attendre.
Nous sommes vivants, sans Vénus ; mais son haleine imprègne nos contrées, son matin flotte sur nos eaux, fraîches encore du parfum de l’averse ; et nos lèvres ont soif d’exister, combat, duel ou duo (multitude !), chairs ensemble emportées s’étreignant.
Orpailleurs tête levée vers l’étoile polaire, nous existons en débusquant, en exaspérant nos saveurs dans les placers de (...) (lire la suite)
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LORSQUE LES SOUVENIRS N’ONT PLUS DE NOM
Livré à l’audace et au possible
Michel BaglinSi m’était consenti le pouvoir de ne pas diffamer l’averse, ni le martèlement du grain au vasistas, de ne pas enlaidir tes larmes lavandières dans une chapelle ardente, fenêtre ouverte, bruits venant par à-coups ;
de ne pas flétrir la fleur d’aurore ou les chatons de tamaris, ni ta rose lèvres décloses ;
de m’asseoir, faire silence et dire juste les odeurs de la forêt : celles des plantes et des mousses, des arbres et des lichens, des champignons et de l’humus ; le parfum de ton nid moussu ;
de ne pas ternir l’essor de l’alouette, ses trilles trémolos de plein vol, et moins encore tes murmures, tes vagirs de vraie vie ;
de ne pas encanailler cet œil éburnéen qui enlumine les amants lorsque la lune est à son comble, ni mal répondre de tes hanches qui m’emportent en roulis dans la pénombre de mes failles ;
de ne pas altérer les beaux jours, ni d’abolir autan et sirocco qui endiablent le brasier, de ne pas faire (...) (lire la suite)
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À L’AUBE FRÉMISSANTE
Depuis combien d’années ton souffle berce-t-il mes aubes comme une ancienne caravelle au tangage doux et lent ? Que de fois en ai-je vu la mer telle que d’autres l’aperçoivent dans les fleurs facettées d’hortensia ? Et ce matin, tu as posé la main sur moi. Courbes de chair et veines respiraient, un peu battantes de désir, quand tu as fait mûrir le corps nu de l’été à la fin même de décembre. Comme si la douleur était annihilée ; comme si les doigts voraces des frimas n’avaient point dépouillé les arbres : pas de bise qui effeuille ni de froidure qui fendille, nulle trombe submergeante.
Ton haleine est devenue le seul chant que je voulais entendre ; nous n’avons plus été que le cosmos qui se balance. Dans des glissements de peaux, une rose a installé tout un long tendelet de braises.
Par la grâce de toi, je vis d’une saveur délectable suprêmement, un fruit confondant, plus stellaire – ô combien ! – que boules vives de Noël orangeant le (...) (lire la suite)
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D’INSTANT EN INSTANT, L’ÉLAN
(après Serge Rezvani, le Vésuve, Phéniciens de Byblos et bien d’autres)
Tout mot est issu d’un abysse : pénombrales, les bouches ne déclarent pas, elles insufflent, ne recourent pas à des termes mais à du flottant. Ondoiement des affections, des affects qu’ils délimitent et affichent, odelettes cantilènes laisses versets rythmes splendides hymnes vastes ensembles comptés rimés ou non rimés, leurs linéaments admirables louvoient, subtils, exquis, dans l’indicible des transports et des joies, des bruits et de la fureur, ne s’appuient sur nulle gaudriole, nulle saillie gaillarde comme le sont les plus vifs des laps ardents, silence voluptueux des peaux qui, l’une à l’autre, exultent, seins entrailles pantelants, replis pulpeux et palpitants.
Se tisse au plus profond une liaison très viscérale : son après son, syllabe par syllabe, tempos et inflexions figurent l’ébranlement, le feulement que livrent, combinés, elle et lui jouant à chat, à l’arrêt jouant d’un long (...) (lire la suite)
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SENTEURS DE FEUILLE DU FIGUIER
Appelle par son nom ce qui, pour moi, fait fond. Que ton égard ne se détourne pas de mes paroles murmurées telle une aubade d’alouettes anciennes.
Humus frais sur ma terre exténuée, que m’aiguise ton désir, tes doigts à l’orée de mon cri ; que ton souffle ramage seul le mûrissement de ce fruit qui, sous ma main, sourit et s’ouvre, clarté fuyante comme une perle de rosée.
Que nous rêvions vasque d’automne, fleuve de feuilles, rite de soif inconvenante. Que, radieuses de sueurs, nos peaux s’égaient à nos arcanes.
Que, surgi le monstrueux terrassant, après silence vienne l’action. Qu’elle soit désormais plongeon nouveau dans le fini, sœur jubilante de nos rêves.
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O QUE J’AILLE À LA MER !
Portes et volets clos, je ne voulais pas voir les feuillages d’automne dans leur douce clarté, comme s’il n’y avait plus que marbre funéraire, comme si hardes et compagnies d’astres avaient disparu ; comme si, seule, la poigne de l’angoisse étreignait les entrailles. Je me vautrais dans une souille d’ombre.
S’inventaient d’exténuantes scènes, avec hurlants assauts de sueurs froides, leurs atroces balafres, leurs accès de vésanie près d’une eau balbutiant parmi les feuilles mortes, les rêves oubliés dans les replis du souvenir, fictions aux senteurs de fougère et de mousse qui annonçaient l’abord d’une source inconnue.
Mais la vie a franchi le seuil de ma clôture : désir du monde, ferveur et feu. Ce fut deux fois la mer : en toi, autour de nous ; brasillante, elle nous a jonchés de galaxies dans l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.
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TU ME PASSES LE SEL DE LA VIE
On croit que tout est fini, mais
il y a toujours un rouge-gorge qui se met à chanter
Paul ClaudelEn me couchant hier soir, j’ai resongé au charme des heures précédentes. Il y avait eu ce pompon de marin dans l’azur matinal, l’image de ce flot opalin à son faîte, s’inclinant tout de suite se brisant en un effondrement moussu mêlé d’éclatants confettis de lumière filant sur la grève dont la pente réfrène l’allant l’anémiant au point d’en faire un flux bénin, une coulée de salive emperlant tes orteils tes fesses et l’ourlet de ton sexe. Il y avait eu cette blanquette de Limoux mauzac B, l’article de W. sur mon dernier ouvrage, les poires succulentes offertes par les voisins, le savoureux humour d’une fille au téléphone, le courriel délicat d’un ami, ton odeur de vent vert, l’intense fruité des lucques, le violoncelle sons féminins de Yo-yo Ma, Entre les lignes (Michel Baglin) enfin reçu. J’avais lu : au Kurdistan syrien, démocratie directe, autonomie des (...) (lire la suite)
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CHAMBRE D’HÔTE
Toi, l’hôtesse, toi qui as la verdeur d’une averse de mai et le parfum tilleul des soirs de juin si doux, toi qui es à toi seule calme lagune et rire de ruisseau avec ses trembles qu’un léger vent suffit à émouvoir ; à l’ombre de tes cils, chatoient des béryls bleus. Toi, de ta nuque à tes reins roule, infinie, la mer.
Tankers migrants noyés avec la mer viennent les vignes sang et or en novembre les perdrix danse de la pluie et les grives musiciennes, les champs de ponceaux, le thym courage jadis onguent des morts fumée pour dieux, les dentelles de fougeraie, les troncs moussus et la chaleur de la pierre au soleil. Comment te trouver où tu es ?
Toi aux terrasses des cafés, tu as d’autres horizons que voiture, grand écran, shopping, prédations et déprédations. Toi qui souhaites vivre où le ciel, de nuit, se met en posture d’étoiles, tu dis : « prends garde à la beauté des choses », ne confonds jamais étreinte avec étranglement : sans coquille sur le sexe, tu (...) (lire la suite)
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ET NOUS, NOUS AIMONS LA VIE, AUTANT QUE POSSIBLE ( Mahmoud Darwich)
Consens-moi mot à mot ta parole, donne chair à mes syllabes, parmi les intolérables fêlures, les fractures qui promettent deuil sur deuil, parmi les cris hurlés déflagrations corps en éclats. Consens-moi l’inconnu avec la danse de tes mots pour atténuer les rauquements, les giclées rouge sang aux bouches ; pour que seules se susurrent les escrimes voluptuaires. Donne chair à mes vocables pour fabuler un firmament, mettre au jour des sentiers d’aurore, pour étreintes éclairs mêlés. Bras ouverts lèvres offertes, emmène-moi au sourire de source, ton chant ramier d’après déluge au beau milieu des oliviers.
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PAR UNE GRÂCE DE CŒUR QUI SAUVE
Lorsque tu as épousé les saillies de ma soif, je jouais au seigneur, en tout cas au paladin prenant en croupe tendrons et jouvencelles. On te l’a dit : tu t’abusais aux chatteries, aux corps à corps émerveillés conquis par ton coup de cœur. Mais tu as cru à la saveur de ma langue violente, aux arcanes de ses vocables, tu as fait confiance à ta peau tout comme au flair de tes remuements de plaisir, leur travail de pensée, agile et vive comme loutre.
Alors se sont dispersés la meute de frelons qui bombinaient autour de ma tête, les cafardes menées des fossoyeurs, des naufrageurs de liesse. Nous n’avons pas choppé contre la pierre amour quand l’écume a moussé aux lèvres de ton sexe : tu connaissais si bien la frange fluctuante où chavirent les vagues ! Tendus, un impossible archet nous a émus, de nos deux cordes a tiré un seul son. À l’empyrée quotidien de ta voix, jour après jour m’échoit un âge d’or, quoique s’en vienne à chaque instant un "bruit de cloches (...) (lire la suite)
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DANS L’ÂTRE DE TON FEU
Arrivée la saison du feu de bois, ce que je goûte sous le manteau, c’est le foyer, certes pour ces espèces de longues langues sinueuses montant blond maïs, écarlates et azurées, pourtant surtout pour les charbons ardents, passerelle morcelée mais un laps consistante entre antérieur et après coup, par cela même sœur jumelle de cette soif qu’est le désir ; ensuite pour ce qui reste, jonchée de songerie poudreuse et d’énigmes pulsatiles, un doux tissu de vibrements.
Toi venue (les soirs ressemblent aux aurores) comme le jour se lève saison des feux de joie, ce que je goûte, qui me subjugue quand tu l’offres avec ton souffle sur ma peau dans le langage du baiser, c’est l’effluve, l’huile essentielle de l’inconsumable buisson.
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ENTRE MERLE ET CYPRÈS
Ton pas occupe tous mes songes, déambule à travers mes pensées, tes amples hanches y calligraphient jambages courbes boucles rondes. Tu me transformes en guetteur de corolles et ne m’entretiens pas de ma contrée natale : je clopinais sur des chemins perdus dans les frimas, les arbres avaient fort peu de feuilles, leurs branches étaient forcées de fructifier ; on croyait loyal le gagnant. Un homme ému, on le mettait sur la sellette.
Quand tu me savais sans arroi ni demeure, cœur rossé, doigts gourds, tu m’as offert fromage, lucques, et ton vin long en bouche. Toi qui connais l’œil d’or de la chevêche, les mouillures à tes lèvres m’ont appris la saveur les senteurs d’exister ; tu m’as ouvert ton lit, guidé en toi pour me faire franchir l’horizon. Par toi m’est consentie la vigueur d’une plante grimpante. Ton flanc contre le mien, vigne sang vierge à la fenêtre, les affres, un instant, abandonnent leur (...) (lire la suite)
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AVEC TOUS LES MOTS D’AUTREFOIS
Ficher dans le maquis des alarmes confuses nombre de tuteurs agencés comme pour arrimer les frissonnants halliers de la mémoire. Parfois, s’y jette une volée de mots tels étourneaux s’abattant sur les vignes ou dix cors bellement l’un contre l’autre en rut. Serait-ce convoitise, quémandage charnel des vocables ? La théâtrale sauterie, la comédie au paradis ? Entre sol et nues, nombreux les sigles et les sceaux que les filets retiennent ! Lambeaux abîmés de roseau « Livre pour Sortir au Jour », feuilles froissées de latanier, de talipot, leurs textes sacrés incisés au stylet ; palmes brisées d’arbre-lettre élégant, graphie profuse et déliée, « effet majeur : la retombée », dit R. B. ; bribes d’écorce de bouleau-renouveau si propice aux billets d’amour, fibres de figuier pages lacérées bâtons et jambages. Quel feu en allumer ?
Quel feu en allumer, sinon les dits de ta ferveur, sinon ta voix conjuratrice ? Ta voix chanteuse de péan qui, fibre à fibre, me (...) (lire la suite)
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À UNE QUI CONNAÎT L’ŒIL D’OR DE LA CHEVÊCHE
Femme qui sais les saveurs, toi qui sais la douleur, serres fichées dans les entrailles, tu distilles des sucs, fais mariner des baies, pour que rien n’offusque la grâce des choses : étalement de la prairie, silence immobile à midi le juste, large écart bleu de la vallée, montée légère de la fumée, vibration verte aux oliviers, bruissement d’eau de la rivière.
Tu sais : crève-cœur et navrements érigent leurs bastions de scories et de ruines, abjection et pleutrerie déploient leur tenture funèbre. Mais tu abreuves de ton philtre, et rien n’occulte la splendeur.
À l’abri d’aucun fiasco, j’ai subi abandon, prunelles au vinaigre, froideur de l’ami, larmes d’une trahie ; j’ai veillé des agonies. Mais depuis ta venue, « rien n’obscurcit la beauté de ce monde », comme dit le « poète intégral ».
On a cherché à me tester, détourner mon regard d’ici ; d’un crêpe noir, recouvrir les vergers. Mais par toi j’ai discerné tant de galbes larges et doux !
Insurgés (...) (lire la suite)
Vient de paraître « La beauté gifle comme un grain »
aux éditions Rafael de Surtis, 7, rue SaintMichel 81170 Cordes-sur-Ciel : ISBN 978-2-84672-409-8 Prix : 15€
Quand François Laur nomme la beauté, ce n’est manifestement ni pour contempler un idéal, ni pour révérer une idole. Flagrante / déflagrante la beauté rince, lave, dissout convictions et savoirs, inquiète la tradition et ouvre l’espace de l’écriture poétique qui cherche "dans le tournoiement des mots, la requête de vivre."
Tel est le centre et le sens de ces textes dire comment la foudre du beau illumine une poussière d’instants que la parole du poète recueille, cette parole "gage vivant que maintes nymphes n’ont pas fui."
Le Frais Regard
Revue Texture