SOLEIL D’HIVER
Toujours toi-même et chaque jour nouvelle, avec toi m’ont ébloui les amandiers les mimosas, fleurs et lumières de janvier. C’est par toi que j’ai connu ces pommes au nom de sainte (fête mi-juin), esculentes acidulées, savoureuses tellement qu’on les dirait de quelque éden. J’ai appris à aimer l’odeur des figues mûres, à manger des burlats cueillis sur ton sourire, toi moi à chevauchons dans l’arbre de l’oiseau moqueur.
Tout ce temps de perdu avant que tu n’appelles ! Ta poignante douceur a eu raison de mon manque d’oreille. L’aigue-marine de tes yeux a laminé ma cataracte.
Depuis toi, vivante est ma vie. Depuis toi, j’aime écouter le vent sur lequel prendre appui, se déclarant aux feuilles des peupliers ; le cri de l’épervier qui déchire le ciel, les roucoulements des ramiers, le phrasé de Maria Callas. J’aime le gaz en flammes-langues, leurs reflets leurs frissons verts et bleus ; l’eau se froissant, suant d’infimes perles blanches bientôt muées en peau lentement se figeant pour bientôt gondoler cloques se gonflant vite de plus en plus éclatant s’enflant encore éclatant – bouillonnante, impatiente, semble-t-il, de s’emparer de l’œuf que tu t’apprêtes à y plonger. Je pourrais chanter Nougaro : j’aime tes mains dans la farine.
J’aime à présent le bruit du seau qu’une amie cendrillon remontait du puits. J’aime à présent le facteur qui, bravant les frimas le verglas, et poussant son vélo, répétait jusqu’à livraison : « un colis pour Ben Bou, un colis pour Ben Bou » ; j’aime le verre d’épais gros rouge qu’on lui servait toutes les fois qu’il apportait billets et pièces d’un mandat ou prenait une lettre à poster. J’aime l’angélus d’autrefois, sonné, le soir, dans le silence.
J’aime l’insoumission les manifs et sursauts contre les tocsins frauduleux, l’état d’urgence. J’aime ta joie, celle de Spinoza. Tu m’aides à éluder peurs et tristesses imposées, martelées, entraveuses,
toi dont l’amour n’a jamais chancelé.