François Laur : « À chaque aube son vertige »...
vendredi 6 novembre 2015
François Laur : « À chaque aube son vertige »
François Laur a habitué ses lecteurs à une langue contournée, recherchée, travaillée, prodigue en mots rares qui aide à saisir le réel, à mieux le faire connaître. Dans sa récente plaquette, non paginée, François Laur, avec son poème Pour les chemins que tu inventes, donne une explication à ce goût : "Il faudrait une langue d’osier à faire bouffer les jupes […]. Un idiome long à l’haleine […]. Un essaim de mots bruissant, mellifère, inlassable […]. Une langue nombreuse de la chair dans son horizon […]." C’est la langue, c’est le vocabulaire qu’il utilise depuis ses débuts, qui nous valent ces proses minutieuses où chaque mot est pesé. Dans le poème suivant, Fuyant l’asphyxie, les deux paragraphes de la fin vont encore plus loin : "vocables d’une manière d’habiter, seraient-ils intraduisibles" et il reste qu’il emprunte ses exemples à l’allemand (waldeinsamkeit), au japonais (komorebi), à l’italien (culaccino)… Manière d’habiter le monde, écrit-il. Une manière qui se traduit par cette écriture, qui va jusqu’à teinter son amour pour celle à qui ce recueil est dédié.
Qui se souvent d’Armide qui ouvre Le soleil de la femme au sexe de pavot ? Armide, présente dans La Jérusalem délivrée du Tasse, est une magicienne qui tombe amoureuse de Renaud (l’un des quatre fils Aymon, un croisé connu aussi sous le nom de Rinaldo). On la retrouve chez Aragon, dans Henri Matisse, roman ou dans un poème peu connu, Petite suite sans fil (1). De même, le titre de ce poème de François Laur n’est pas sans faire penser à celui d’André Breton, L’Union libre et, singulièrement, à sa fin : "Ma femme […] / Au sexe de glaïeul" etc … C’est dire toute la richesse et toute la complexité de l’écriture de François Laur. Car la réalité du monde se saisit par les sens autant que par les mots : "L’énergie se faisait conjonction de vocables que liaient échos, accords à foison, tant et tant de racines, la langue pleine d’armes, de blasons, gorge déployée, chair phrasée quelquefois dans l’imprononcé". Cependant, le poème sait être prosaïque à l’occasion, le haut langage laisser place aux considérations matérielles, ainsi avec l’eau qui remplit la chasse… mais qui rafraîchit l’air de la chambre… C’est que le poète cherche avant tout à conspirer un idiome au plus près du respir de celle qu’il aime et qui traverse le recueil. Rien de mièvre dans ce discours amoureux que la langue travaillée sauve. "Peut-être marchons-nous sans nous chercher, mais découvrant que nous marchons pour nous trouver" : tout est dans cette remarque qui explique bien des choses. Mieux, elle est la condition sine qua non de cette expérience unique qui est accord au monde naturel : "Le désir d’exister nous glisse dans le oui" affirme le poète. Et qui permet d’éviter la mièvrerie.
Il faut remercier François Laur de ces chants d’amour et de vie. Lire ces prosèmes revivifie en même temps qu’ils donnent une leçon de poésie que le lecteur oublie immédiatement pour la retrouver l’instant suivant. Quel plus bel hommage que ce vers à la tonalité éluardienne : "Le parfum émouvant de la terre remuée puis emblavée écrit ton nom" ?
(François Laur : « À chaque aube son vertige ». Éditions Les Verbieuses, non paginé, PNI, tiré à 119 exemplaires numérotés. Sur commande chez l’éditeur : Caneyère. 11120 Mailhac)
Lucien WASSELIN
Note. 1. Voir mon étude « Défense et illustration du réalisme aragonien : une contribution ». In Faites Entrer L’Infini n° 58, décembre 2014.