Poèmes
Bibliographie :
- Vues à toucher (avec Jacques Le Squin), Subervie, Rodez, 1980.
- Œ (avec J.G. Gwezenneg), Livre d’artiste, 1982.
- Benn Boo, Mihály, Lille, 1993.
- Via, Mihály, Lille, 1994 :
« Acharné affamé
mugit-il ?
Elle ses yeux distants le contemplaient
tendre
son mufle humide vers l’orée
lui déjà se savait
bucrane »
- Livre-Calendrier (avec Pascale Lefebvre), Mihály, Lille, 1995.
- VIA (avec J.G. Gwezenneg), Orpailleur, Camblin-l’Abbé, 1997.
- Configurations, Rafael de Surtis, Cherves, 1997 :
« Viens. Fussions-nous dupes de l’été, les poires à couteau nous désaltéreront, l’hygiène a peu d’importance. Peut-être les essuierons-nous à même notre peau et, tandis que nos lèvres s’ouvriront, dans nos gorges dégarrottées prendra forme le chiffre liquide et sonore d’un rire. Nous laperons aux commissures le jus qu’un arbre en croix aura mûri de pluies, de soleils et de soin, puis sucerons l’un sur l’autre ces sucs mêlés de chair opale fondant au sein de nos bouches émues. Nous qui croyons à l’ardente patience bien qu’ignorants des lignes insaisies, préparons-nous à commuter la foudre. »
- Notre étreinte sans pitié, Rafael de Surtis, Cherves, 1999 :
« l’élan d’un arbre atteint les myosotis sans angoisse aux gîtes ou nids et nous extirpés de la terre nous aurions à savoir étourdis qui tenons les grives pour chanteuses
ruse des raisins mûrs au chambranle des huttes »
- Mal Mer (avec J.G. Gwezenneg), L’instant perpétuel, Rouen, 2000 :
« La mer citée va-t-elle comparaître ? À quels us, quelle traduction recourir pour déférer la poissonneuse et l’inféconde, et la porteuse de veuvage, la toujours recommencée ? Pas une règle maritime, en ses périodes halieutiques, avec ses adultérations cycliques, qui puisse faire ici justice, non plus qu’en dresser le lit. Car mer bien avant les mamelles, l’aperture de sa voyelle et tout avancement des lèvres, d’avant même que le temps s’ouvre, la mer est d’outre-mot. Elle s’héberge entre ses bords, elle roule sur ses berges jusqu’à se tendre sur ses laisses et venir effleurer ses bers. Voilée nubile, elle a grisé le ciel qui verse, et les sources devenues fleuves, franchis estuaire ou delta, fondent en elle leur eau jamais la même. La mer s’invente en gésine de mer. »
- Parages des lisières, L’instant perpétuel, Rouen, 2000 :
« Les fleuves que le confluent met aux prises, leurs eaux s’empoignent, véhémentes, sereines. Sur la glèbe, la rocaille, dans les maquis ou chambres d’hôtes, sans cesse nous en revenons aux mains ; nos sangs, nos glaires, nos sueurs imprègnent. Joie dévalante, peurs, vertiges... Peu à peu nous apprenons : conjectures sur nos fièvres ? sottise de facturier.
On n’éteint pas l’immensité d’un jet de borne à incendie. »
- Bord à bord, Rafael de Surtis, Cherves, 2001 :
« Je prononce ton nom, j’insère une fleur dans un livre ; pour vous mieux garder, je vous tue : rien ne dit là votre arrivée.
Depuis toujours inattendu : l’iris si bleu, dans la pinède entendre striduler, puis cet arôme résine-humus, des mousses sous mes doigts touffues comme toison, l’abricot laissé fondre en bouche. Tu es venue. »
- La vraie vie n’est pas ailleurs, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2001 :
« Et nous jubilant, corporels dans les dunes, convergeons vers l’empreinte sexuée de nos rêves ; l’origine à jamais inconnue palpite entre de longues lèvres ointes de grandes langues pénétrantes et le bleu – odeur de limon de varech – compact et musculeux d’où giclent, éternisées, perles d’écume.
Nous croyons au monde et consentons à ce désir de nous convertir à la nuit, carnassière incandescente d’astres. »
- Dresse, L’instant perpétuel, Rouen, 2002 :
« En toute adresse de brûlure blanche : la langue, sa surrection ; par là : fiasque à la mer, laissée à chance de faveur – combien précaire ! Qu’une rive, un jour, l’accueille, peut-être rive du cœur. Toute adresse de brûlure blanche fraye une voie. Fait route. Va son chemin vers quelque contrée consentant à l’abord, vers un toi conjurable, un tangible à conjuguer. »
- La nuit remue, Rafael de Surtis, Cherves, 2002 :
« Non loin d’elle, passante, De blêmes riverains traînaient leurs filets vides en lisière des marais tandis qu’elle, au sortir du mutisme, chasseresse déjà dans la nuit accourue, différenciait ses proies chez qui se propageaient les morsures de l’éveil, le sang hurlant – cri halé du for le plus enfoui des ombres, qui en impulserait par milliers, tels un aboi au goût d’orage.
Et d’orage serait l’alcool des romarins, pareil à ces arômes bruts hors desquels exister lui paraissait futile. Un clin d’œil la rendait aussi inscrutable que si, franchi un seuil magique, la voilait l’inviolable rideau couleur safran bordé de pourpre.
Puis, parmi les odeurs d’humus, douce, douce la terreur de l’entr’apercevoir, sa souplesse à nouveau d’aile et d’huile, ses jeunes cris dévêtus. Ainsi s’ouvrait aux antres de solitude son eucharistique pavot. Il préparait le tien. »
- Ravage de fagots sous un ciel sans rage, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2003 :
« Il arrive le dénuement. Un cri d’épervier raie le ciel, ou silencieusement quelque avion y dessine à la craie son sillage. Il n’est pas un réseau de mailles captureur qui parvienne à piéger les claires pulsations de la nuit alors que programmer le possible nous bande, briguant tout poste d’expert. À prescrire un avenir, nous oublierions l’inopiné, sa dédicace inaccessible. »
- Pleines sèves pour nos jours, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2004 :
« Il reste nos rencontres, auxquelles est accordé le bref : elles multiplient le soleil, nous font par le plaisir qui nous altère et nous retouche et nous défait ; par elles, nous persévérons à devenir nouveaux, par elles ancrés dans l’ici maintenant. Tu lis j’écris, poreux et solidaires, jubilation asymétrique et réciproque offerte.
Ainsi l’amour.
Comme fourmi dans la poussière, la joie trace des chemins d’exister. Pour vivre la plénitude, nous n’avons pas besoin d’échappée vers le haut, mais de nous consentir au lent afflux de sourdre. »
- Mano a mano 4, (avec Marianne Frossard), Cahiers du Museur, 2005.
- Quotidiennes, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2006 :
« Supputer le luxe du marché à l’unique opulence des étals aurait été frivole. Frivole et injurieux. Certes, à potron-minet, une légion de maraîchers et de marchands forains avaient investi la place, ses terre-plein chaussée trottoirs, et jusqu’aux marches qui bordent la fontaine. Certes, y resplendissaient des amas de pulpes qu’on aurait crues vernies (ah, le violet des aubergines), y caquetaient des basses-cours entières (ces caroncules et crêtes rutilantes des coqs !) ; que d’épices y fleuraient, et les melons lourds dans la paume ! Les auvents claquaient aux rafales du cers plus qu’oriflammes d’apparat ou draps sur le fil du séchoir. C’est là que j’ai vu – effraction brève – ta robe soulevée, me suis dit qu’à prendre son plein vol, elle exalterait mieux l’éclat nu de ton âme : toi corps dansant, transi, au guet, abandonné, pensif. »
- Madrague du presque rien (avec Alain Lestié), Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2007.
- Quand luminait le chardon bleu, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2007 :
« Nous sommes de grands sauriens friands de féria, et nous escaladons, et, paf ! plantons le mât dans l’entraille compliquée des nues, dans le ventre bayant des pleurs. Et nos membres, tiges qui s’entrelacent, nos membres sont amoureux d’amples matelas sombres, et nous dansons au-dessus de l’abîme sans calculer nos pas tout au long des haubans, tout en haut des merveilles.
Peut-être devrons-nous comme chardonnerets nous lessiver dans la poussière pour savoir de nouveau consentir aux draps coquelicots de soie que nous offre le sol, sang, fumée, purin comme un étang, des riens inoubliables, cris brusques et désirs sans fin. _ Car il n’y a rien par-delà l’horizon de la terre, toute mesure est là sur l’asphalte arpenté la première tiédeur du gazon froissé le velours les férias des enlacements. »
- La Treizième revient (avec Alain Lestié), Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2008.
- Écoute flottante (avec Alain Perrier-Doron), Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2009 :
« Eaux, mères de douces rêveries passées au séran de la langue, pour moi comme pour un qui loue la volupté
la brume et ses tendres élans où la lumière cherche son poids de chair
luxe d’une rivière entre ses saules et ses iris son bruissement de source ou son mugir de mer
gouttes suspendues aux branches sans feuilles encore d’un figuier comme une invite à fournir de tout autres pulpes : minuscules grelots qu’on croirait tintinnabuler, tel un collier à rangs de perles argentines. Mais non. La porte ne s’ouvrira pas sur quelque fastueuse passante : reste à s’abreuver le regard, se délecter de ces fruits éphémères
la mer houlant comme champ de blé mûr quand, le cuivre du soleil noyé, elle tourne la lune en île
triomphe des vagues vibrant, oscillant, modulant, respirant leurs accords fluides ; toi et moi riverains l’un de l’autre, nos mains se rappellent et, d’un geste nuptial, nous embarquent vers les étoiles. »
- Lieux-dits au féminin pluriel, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2010 :
« La route étroite ouvre l’espace en s’accomplissant, franchit des ruisseaux à sec sur de modestes ponts bossus dont les murs de parapet ont le faîte aussi doucement arrondi que les collines alentour, et comme elles doré, lui de lichens, elles de cytises. _ Des tournants, des dos d’âne – et c’est un recoin de grâce comme enclos de magie : tout soudain son âpre faste serre la gorge prend aux entrailles, désir angoisse fomentés. Ici, vertigineusement érigé sur son roc, semble veiller et surveiller un spectre de forteresse. Ici, les hauteurs s’escarpent, abruptes, nues, claires dentelles chantournées sur fond bleu en leur cime quand le vert des pins et des chênes paraît s’humilier sous la poussière à leur pied. Le vent transporte des odeurs coronille pierre à feu bouquet garni mêlés. De chaque côté de la route, à présent presque sentier, des arbustes blanc rose à peine constellent la rocaille, emblème ou armes de ce royaume de personne, intact, virginal dirait-on si quelques lopins de terre rouge çà et là n’alignaient des ceps comme mots en rangs sur la page ; eux disent qu’ici a bien été, pour certains hommes, lieu d’enfance ; mais si rares s’en produisent les rencontres que la fraîcheur immaculée des aubépines finit par laisser croire être rendu à un monde hors temps, ou au premier jour du monde, monde ouvré cependant par des siècles de cers, de tueries, de culture et d’amour. »
- Comme une peau de caravelle, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2010 :
« La mer au loin échine de géante, croupe très vaste en saillie, la mer au large sans écueil soutient bateaux de haute mer telle Ivoirienne, lourde et lente, berce, pilant l’igname, un enfant sur son dos.
Avec un frisson, à peine, ses muscles généreux aussi luisants que l’huile se prêtent, indifférents, à toute cargaison – tueurs, pétrole, olives – à tous hommes de mer, de tout rivage et finisterre, de tous visages de tous âges.
Jument, soudain, piquée d’un taon, elle bave, se rebelle. Furibonde ou vénéneusement sereine vagabonde, aucun de ceux qu’elle a portés n’a pu clamer ses abysses. »
- L’arche et la clé, Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2011 :
« Gamin d’un plateau froid jadis voué au seigle, j’étais encore enfant lorsque j’ai vu la mer. Ce fut fête un peu secrète, le sable frais sous les pieds nus avec, d’emblée, le sans échelle et le bruit de la mer jusqu’à la falaise, repris et relancé par le cri des oiseaux jusqu’aux hauteurs du ciel. Il n’y eut là ni vacarme ni inquiétude sous le ventre des mouettes. Rien, ici, d’une contrée peuplée de bêtes fantastiques à la chair rose, malléable et gluante, rien qui tire vers l’abîme par les muscles floraux de longues algues serpentines, suce par les ventouses acharnées d’innombrables tentacules, irréfrénablement aspire par quelque occulte lame de fond. Pas de noirceur à expier. _ Nul effroi dans le choc du sang à la poitrine au voisinage de vague et vagin. La vagabonde, elle, ne roule qu’elle-même, s’enfle cependant de mille et mille gouttelettes insaisissables hors du mystère de la vague. À son plus haut elle n’est qu’imminence, tel un chevreuil au bond, chose aussi neuve que ces coquillages, crabes et poissons, ces cailloux immémoriaux, polis, légers et plats au bref instant où ils sortent de la mer et brillent, dans l’extrême fugacité de leur gloire, d’un éclat qui pourtant se retire déjà. Un rien, en somme, mais ce rien, un instant, fait le sens de l’instant.
Depuis lors, dans les suies de la nuit, j’essaie des ricochets pour retrouver la rumeur de la mer. »
- Abécéd(romad)aire, Éd. du soir au matin, Merville, 2011 :
« il y a la hure hirsute du sanglier d’Atalante et la huppe des houdans pondeuses noir caillouté blanc
il y a (fille du cygne) l’Hellène Hélène qui à Pâris échut et celle de Ronsard assise auprès du feu dévidant et filant le Hollandais volant Pandora Ava il y a la houe (m. néerl. houwe) des horticulteurs l’hémérocalle ne fleurit qu’un jour
Hermès ce coup de chance a fait les honneurs de la route aux trois belles hantées par la pomme d’or
la sonore hache tranche la tête d’hirondelle comme Térée la langue de Philomène le héron lui
habitant chotts et autres lieux humides a l’heur de garder son ache ainsi que
le hoche-queue au voisinage des troupeaux entre les haies
dans L’huître Ponge on trouve tout un monde à boire et à manger mais aussi à humer l’haleine
de l’homme chaud et moite d’humeurs de sueur l’humus avec la hargne d’être là »
[...]
Claude Simon sa maison de Salses tissage de la phrase longue sinueuse englobante insistante incises parenthèses ajouts corps conducteur sensations odeurs et lumières souvenirs de souvenirs la langue vit sa propre vie
Jude Stéfan savant blasphémateur sustenté de Maurice Scève silles par saccades tous les dégoûts sont dans la nature mais
Ce pur glissant miroir de nos caresses / la chair la faire taire mais qui luit / trop belle comme la cuisse haut baisée
Sade (marquis de) il n’y a d’autre enfer pour l’homme que la bêtise et la méchanceté de ses semblables
mes fesses qu’ont des fois incisées tes ongles onyx roses comme flamants dans des sous-bois mystérieux des fossés ou près des salins Marseillan Aigues-Mortes les scarifications en creux des Haoussa dessinent des traits courts et fins
isolés ou en groupes plus ou moins denses
des baies du sureau noir on fait sortir de l’encre dont les nuances oscillent entre bleu et lilas selon les recettes liquide synovial
lubrifiant bourses séreuses et commissures de l’entre-nous »
- Vénus flexueuse, Éd. Les Verbieuses, Mailhac, 2011.
Paradoxalement, François Laur est un écrivain parcimonieux : s’il publie régulièrement, et depuis longtemps, ses plaquettes sont minces et dépassent rarement la cinquantaine de pages. Mais l’œuvre que patiemment il élabore est cohérente. « Vénus Flexueuse » est une pièce supplémentaire à l’ensemble. Le point de départ de ce récit (une prose poétique de moins de vingt pages de petit format qu’on assimilerait facilement à un poème en prose) est simple : l’été, la plage sous le soleil, des corps hâlés et parmi ces derniers une femme que le personnage principal (non identifié) remarque pour sa beauté sculpturale. Dès le départ, le récit est fortement érotisé au-delà du corps capté par l’œil, le paysage lui-même est érotisé comme si la vision était devenue floue par défaut d’accommodation : « un coquillage, ovale, convexe par le dessus, ouvert d’une fissure festonnée à l’intérieur rose vif... » ou « une ébauche mamelonnée de dunes se bombait dans l’espoir de langues fraîches »...
La femme se lève pour aller dans l’eau, le désir de l’observateur s’exacerbe même en son absence « qui, de se prolonger, lui conférait l’exorbitant pouvoir du vide ». Elle devient alors « plus attirante d’avoir été absorbée peu à peu ». Le récit ne se résume pas ; simplement, il vire brusquement vers le fantastique : « d’un coup, quelque oiseau ivre, aigle ou cygne noir, s’était saisi de sa proie ». Si le spectateur croit un instant avoir été victime d’une hallucination, ses yeux le détrompent vite : une zébrure violine apparaît sur le corps. Le lecteur est alors emporté par un récit qui n’obéit plus aux normes policées : le texte est d’un onirisme prégnant et le lecteur ne sait plus s’il est dans le réel ou dans un ailleurs fantasmé. Sans doute ne faut-il pas dévoiler la chute du texte, ses deux ultimes lignes... Avec beaucoup de science, François Laur égare son lecteur qui adhérait au réel alors qu’il ne s’agissait que d’un assemblage de mots glorifiant une sensualité sans visage, sans être...
François Laur avait intitulé une de ses précédentes plaquettes « La vraie vie n’est pas ailleurs » ... C’est le message qui est ici délivré. Il n’y a pas de transcendance mais seulement le mystère de désirer et de vivre... Reste à lire, à désirer et à vivre.
(François Laur, « Vénus Flexueuse ». Editions Les Verbieuses. Non paginé, tiré à 119 ex, un bel objet au prix de 12 €. fafabayle@orange.fr)
(LES CRITIQUES DE LUCIEN WASSELIN, in revue TEXTURE, article 412)
- Résonances des sources, Éd. Les Verbieuses, Mailhac, 2012 :
« Être au paysage : baguenaude sans doute, mais gourmande, maraude à l’affût, dévalée au bas des ravines, au ras du flot, des amas de bulles, des cailloux roulés avec une brusquerie chargée d’experte patience, parce que, entre les buissons qui forment un rideau touffu, la fusée de l’eau par l’orifice obscur s’ouvrant au pied de l’à-pic blanc qui barre le bas-fond réjouit en elle-même ; dans un site pareil, la voici avec le pouvoir, l’écho et la concentration d’un éclat, mais d’un qui serait profonde pulsation réservée, sans emphase ni superbe, condensée à l’évasure.
Si, mis sur la voie comme par une baguette de sourcier, vous suivez à travers les broussailles quelque sente herbeuse, la première approche avec l’éruption est sonnante : vous la pressentez, vous en distinguez le fredon, déjà tout s’ordonne autour d’elle puis le vacarme s’amplifie et ce n’est qu’à l’ultime instant qu’elle se montre ; à sentir cette fougue issue d’on ne sait trop quelle insondable entraille, un émoi aussitôt vous transit, certes bien malgré vous ; enivrant désarroi qui vous chamboule, vous déborde, abolit tout repère. Cette espèce de déflagration sans répit proprement vous confond, vous laissant là désemparé comme si, venus du fond des âges, s’était inscrit dans votre chair l’extrême intensité d’un philtre ou quelque sortilège – la giclée déferlant tel un flux immobile, bouillonnement d’eau et d’écume suspendu, niant la fosse horlogère : la stase même de l’apparition, le pli ténébreux d’où ça naît. »
- Si loin, le temps des cerises ? Éd. Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2012 :
« Sept heures du matin en ce qui fut le mois lustral, peu d’entre nous entendent encore le cri d’un coq. Beaucoup se tournent se retournent flanc droit flanc gauche puis retour, quand la terre les rejette, glacés qu’ils sont sous les étoiles disparues. C’est l’heure morne, stérile, désolante, inexorable, plus lugubre que le glas. Être capable de désir à partir de la misère, de briser l’addition pure et simple des jours ?
Certes, pour nous débâter du pressoir de détresse, fracasser les veaux d’or ne suffira pas : qui ne se réfugie sous le torsoir d’autres fétiches ? En notre espace tissé de lassitude, il n’y a plus aucun prophète, le sol sous nos pas s’escamote, l’horizon est révolu. Il ne nous reste qu’à fouir, caver l’anthrax au plus profond, pomper le pus jusqu’à plus soif. On n’améliore pas le sort d’un néphrétique par ceinture de barbelé. Socialisme ou barbarie : une femme, un jour, l’a dit ; elle avait nom de rose rouge. Un prétendu commis du peuple, faisant « le chien sanglant », l’assassina ; ainsi trama le tapis rouge pour quelque peintre de München.
Si, dans la tension du partage ravinements voisinages, nous voulons, assemblés non rassemblés, faire ensemble halte, ensemble à une table libre – libérée dans le partage – nous asseoir et deviser, il faut nous mettre à menuiser, à inventer les sièges bancs fauteuils chaises tabourets, la table même : donner chance à un à-venir dans nos voix raboteuses. Le commun reste à chercher. »
- Desseins aux lèvres (avec Alain Lestié), Éd. Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2013.
- Au titre de ces jours, Éd. Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2013 :
« Elles avaient joliment raison, les femmes qui, selon Werner Lambersy, s’en glissaient une ramille ou quelques gouttes entre les seins. Le parfum de la farigoule, un brin âpre un brin furtif, vivifiant et, oui, mutin, conserve un charme riche de ferveur, telle une bouffée d’oliban, mais un oliban rieur, capiteux, nullement offert aux dieux.
Moins m’as-tu-vu que le jasmin d’Espagne, elle, si résistante par la grâce de sudations, ses corolles délicates, lèvres blanc rose ou teintées corail à peine, révèlent dans sa pudeur exquise tous les régimes du désir, splendeur sobre et frisson d’effluves comme on en sait sous le soleil lorsque se froissent feuilles ou touffes. _ Vestibule, souvent, du régal amoureux, l’art culinaire la connaît fort bien qui en consomme tellement, en bouquets, liqueur en légères goulées, miel. Et combien de thérapies, réputées peu fariboleuses, la font prodigue d’eupepsie, dissolvante de ferments pourris, dispensatrice de cœur à l’ouvrage.
Mes lèvres ne peuvent plus guère s’ouvrir sans que je songe aux tiennes à qui les siennes me conduisent. Sous rosée du petit matin, la fièvre est neuve aux commissures. »
- À chaque aube son vertige, Ed. Les Verbieuses, Caneyère, 11120 Mailhac, 2015 :
« L’heure nous ouvrirait, malgré horreurs ploutocratie désastre, à la beauté d’une fleur d’églantier, rose à peine ou blanche comme l’aube ; à la morsure d’un refrain irradiant le corps obscur, braise de langue comme un baiser. »
- La beauté gifle comme un grain, Éd. Rafael de Surtis, Cordes-sur-Ciel, 2016 :
Quand François Laur nomme la beauté, ce n’est manifestement ni pour contempler un idéal, ni pour révérer une idole. Flagrante / déflagrante la beauté rince, lave, dissout convictions et savoirs, inquiète la tradition et ouvre l’espace de l’écriture poétique qui cherche "dans le tournoiement des mots, la requête de vivre."
Tel est le centre et le sens de ces textes dire comment la foudre du beau illumine une poussière d’instants que la parole du poète recueille, cette parole "gage vivant que maintes nymphes n’ont pas fui."